5 octobre 2015

Merci patron

Je voulais juste dire ma grande joie du traitement réservé à la direction d'Air France par les employés et mon mélange d'agacement et de lassitude envers les militants qui déplorent cette "violence" (la chemise d'un patron a été arrachée, mon Dieu mais c'est sanguinaire (sic) !!). Des objets deviennent le centre de la discussion, alors que le véritable enjeu est celui de vies humaines.
Les ouvriers, la vraie violence ils la vivent déjà. La violence, ce sont (entre autres) les licenciements et le mépris, et aussi tout ce qu'ils ont pu vivre de pressions et de craintes auparavant (et je ne parle même pas de la violence intrinsèque de l'exploitation). Mais comme d'habitude, on efface cette histoire. C'est plus simple.

On a des gens à l'abri du besoin et pas trop menacés par des licenciements ont aussi beaucoup dit que cette violence desservait la cause ouvrière. Plusieurs choses : déjà, on voit/entend en général pas tellement ces gens le reste du temps "pour la cause ouvrière". Ensuite, la non-violence seule n'a jamais rien changé de manière radicale (et quand tu es acculé, t'as pas le temps pour des résultats à moitié). Et je dis "seule" parce que ça fait des semaines que les salariés d'Air France essaient la solution polie.

Faut bien piger qu'il y a un moment où la violence est la seule solution. Quand tu es acculé, quand tu subis toi-même une violence inouïe, quand tu as peur pour ta vie (parce que oui quand t'es licencié je peux facilement imaginer que tu as peur pour ce que sera la suite de ta vie), la violence "devient suicidaire en elle-même" (Robert F. Williams). C'est pas possible. Chercher à lui "faire comprendre" est vain. Parce que l'oppresseur t'écoutera pas. Ce n'est pas sa réalité, ton cri est juste un "bruit". "L'oppresseur n'entend pas ce que dit son opprimé comme langage mais comme un bruit. C'est la définition de l'oppression [...] L'oppresseur qui fait le louable effort d'écouter (libéral intellectuel) n'entend pas mieux. Car même lorsque les mots sont communs, les connotations sont radicalement différentes. C'est ainsi que de nombreux mots ont pour l'oppresseur une connotation-jouissance, et pour l'opprimé une connotation-souffrance." (Christiane Rochefort) "Sortir les couteaux" devient vital. C'est la seule façon possible pour être entendu d'une part et changer les choses d'autre part. 

Quoi qu'illes fassent, les opprimé-es qui n'acceptent pas la violence de l'oppression seront vues comme violent-es. La violence des dominants est toujours minimisée. La violence du dominé est toujours amplifiée, rendue énorme, exceptionnelle, scandaleuse, alors qu'elle est souvent bien moindre que la première. Le pouvoir cnsidérera toujours son opposition un minimum radicale  (je veux dire, pas l'opposition des débats parlementaires hein) comme agressive.

On a dit que diviser la situation entre bon ouvriers et méchants patrons revenait à "voir le monde en noir et blanc". Let me tell you something : quand tu ne sais pas si tu pourras avoir un toit sur la tête dans les prochains mois, les subtilités de la personnalité de ton patron, tu en as un peu rien à carrer. Et puis savoir de quel côté de la barricade on se trouve n'empêche pas de réfléchir, faire évoluer, critiquer les positions de son camp.

Enfin, si vous êtes de ceux qui disent que "la violence ne résout rien", je vous invite à regarder d'un peu plus près l'histoire ouvrière, ne serait-ce que celle du 19ème siècle (et à ce propos je vous conseille l'excellent livre de Paul Mason, malheureusement pas traduit en français, Live Working or Die Fighting, qui met en parallèle luttes ouvrières passées et présentes).

Et puis, vous en faites pas, ça va aller pour la direction d'Air France. Xavier Broseta va retrouver son lot douillet, une chemise neuve à 300 balles et ses soutiens politiques en rentrant chez lui. Ça va aller pour lui. 
Mais rien ne m'enlèvera de l'esprit que, ce qui leur arrive, ils le méritent.