26 mai 2013

« Sûreté ne rime pas toujours avec répression » — Faire avaler la pilule.

Éloigner les jeunes.
Les jeunes c'est sale, ça crache par terre, ça respecte rien.
Les jeunes il faut les faire fuir des endroits propres, comme les halls de gare. (Où y'a des adultes qui vont travailler, eux).

Les jeunes n'écoutent pas de musique classique. Tout le monde le sait. Haydn, c'est pour les grands.
Parce que la musique classique, c'est raffiné, m'voyez. C'est de la musique noble, élégante, savante, harmonieuse. Supérieure, dirais-je même. Pas comme le rock, la variété, le Rn'B, le rap, le metal, la pop. Les jeunes étant des sauvages, assurément, ce trésor sacré ne leur est pas accessible.

Bon.
Ces deux présupposés débiles servent de prétexte à une initiative de la SNCF (lisez l'article sus-linké, c'est instructif). Balancer du Vivaldi dans les haut-parleurs des gares RER pour, 1, faire déguerpir les délinquants, 2, assurer sérénité, bonne humeur et aliénation tout en douceur aux français méritants, travailleurs et civilisés.

Toujours la même histoire. Aseptiser, faire briller. Et dissimuler ainsi la misère, la laideur, en la repoussant toujours un peu plus loin, comme ils ont fait avec les immigrés, les SDF, les prisonniers, les vieux. Souvent, c'est tout simplement, interdire aux gens de vivre leur vie en dehors de ce qui est admis comme respectable. En l'occurrence, interdire d'utiliser les halls de gares pour faire autre chose que se rendre quelque part. Les lieux ne doivent pas sortir de l'usage pour lequel ils ont été conçus. 

« Sûreté ne rime pas toujours avec répression ».
C'est ça. Faire passer la pilule. Faire croire que tout va bien, que ta vie t'appartient, te persuader que tu es heureux. "Regardez, c'est fun, c'est un concours participatif ! C'est transparent ! Regardez comme on se marre à conditionner les vies d'autres gens !"

Ça me rappelle la nouvelle prison construite à Condé-sur-Sarthe, près d'Alençon [PDF]. La forme des couloirs, les couleurs acidulées, les meubles, les chambres, jusqu'aux barreaux des fenêtres, tout est design. Il y a même une aire de jeux pour les gosses qui viennent au parloir. Dans la plaquette, pas une fois le mot prison. "Hébergement" passe mieux.
L'existence en milieu carcéral est certes bien plus insoutenable que la vie au-dehors. Mais c'est le même principe. Rendre l'environnement agréable. Faire oublier aux travailleur/euses qu'ils et elles vont trimer pour leur patron, qu'ils et elles se sont levé-e-s trop tôt, qu'ils et elles prennent des antidépresseurs pour tenir ; faire oublier les galères quotidiennes en rendant les lieux de notre routine plus « accueillants », plus soft, plus beaux, plus joyeux.

Et mettre de la musique vivante, belle, aimante, utiliser Liszt, Bach, Mendelssohn ou Ravel pour les besoins d'une politique morbide de contrôle social.

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