3 novembre 2013

“Avec humanité”

Mercredi 17 octobre au soir, je reçois un texto qui a circulé dans la plupart des lycées parisiens, appelant à la mobilisation pour Leonarda et Khatchik. Il est autour de dix heures. Je soupire. Ça va pas marcher. Ça marche jamais. Surtout dans mon bahut, on est à peine 300, les trois quart restent chez eux. Les dernières fois, c'était pour des suppressions de postes de profs. Il y avait trois poubelles, la proviseure qui voulait laisser passer ceux qui veulent aller en cours. La blague. Et puis des profs, les gens ont du mal à se solidariser, m'voyez. Ici, la cause est parfaitement compréhensible, tout le monde peut se rendre compte que c'est injuste. Mais même. Cette fois encore, ça ressemble trop à du dernier moment. Ça va être l'impro totale, les slogans à deux balles, le manque de crédibilité.
Je pense à leur réalité, à eux, les expulsés. Ceux qu'on ne veut pas laisser vivre ici parce qu'ils n'ont pas le bon bout de papier, la bonne tête, la bonne histoire familiale, la bonne langue. Leur réalité c'est celle que je ne vivrai ni ne comprendrai jamais, parce que ma famille est de ce bout de terre depuis assez longtemps pour que Valls pense qu'elle est plus légitime à vivre ici que les autres, et que, par conséquent, mes parents n'ont pas de titre de séjour à renouveler, n'ont pas d'attentes angoissées de la réponse de la préfecture, n'ont pas peur de se retrouver à l'aéroport, un matin sans prévenir, menottés dans la zone d'attente. Ma famille ne fuit rien. Ni la guerre, ni la pauvreté, ni la dictature, ni la répression. On n'a pas besoin de rêver d'un avenir meilleur : les chances sont de notre côté, parce que nous sommes, disent-ils, "chez nous". Plus que d'autres qui pourtant vivent ici tout autant que nous. Et qu'on a les moyens, et qu'on est blancs. 
Je suis en colère. Big deal. Sous ma couette, chez moi, où j'ai certes froid, mais où je vais probablement parvenir à dormir sans penser à ces histoires toute la nuit. Je suis en colère et ça ne sert à rien. Je ferme les yeux. Demain, y'a cours.

Je me réveille un peu tard. Un nouveau texto d'un gars qui me demande si j'aurais pas en réserve des autocollants, slogans ou autres affiches, voire un drapeau noir, ce serait gentil. J'ai un petit rire. Déjà, non, j'ai pas ça chez moi, enfin, pas en piles de 100. Le drapeau, non merci, je suis allergique. S'ils en sont aux drapeaux anars, j'imagine que le coco du fond de la classe a déjà prévu d'arborer ses autocollants du PCF, pour faire peur aux maternelles à côté, et un étendard aux couleurs des Jeunesses Communistes (Oui, y'a des dingues, dans ma classe). Et puis faudrait que tout le monde arrive au moins une demi-heure plus tôt, pour installer le truc. Impossible. La blague, je répète. Et puis un autre texto d'une copine dans un lycée encore plus bourgeois que le mien. Elle demande s'il y a mobilisation, chez nous, parce que même chez elle, y'a l'air d'avoir du mouvement. Eh mais, wait. Tout n'est peut-être pas perdu.

J'arrive en courant à 7h40. Déjà du monde. Les gens qui vont en cours seront cinq en tout et pour tout (que voulez-vous espérer de terminales S, aussi). Oui, ma proviseure veut absolument qu'ils puisse entrer (sinon elle appelle les flics), elle a tout compris au principe du blocus. Nevermind.
Dehors, ils ont sorti les poubelles et sont allés piquer des trucs de chantier dans la rue d'à-côté. Tain mais c'est qu'il est efficace, le coco du fond de la classe. Bon, il se sent plus, évidemment, il est content de prendre les choses en main — tfaçon, l'autogestion ça marche pas, qu'il dit. Mais je dois admettre que j'aurais jamais pensé qu'ils le feraient vraiment. On finit d'installer les poubelles, il fait encore nuit.

L'effectif s'agrandit. Les gens arrivent, ceux qui habitent le plus près partent chercher marqueurs et cartons, et improvisent des pancartes avec des jolies fautes d'orthographe. Plus de place pour le s, à expulsions, mais au moins, les lettrages sont classe, y'a des graffeurs dans le lot.
Le jour se lève. C'est une rue coincée entre des barres d'immeubles, où circulent plus de voitures que de piétons, on nous verra pas beaucoup, mais tant pis. Au moins, les gens le font, on a l'impression de compter.
Les profs arrivent, eux aussi. Ils demandent à la CPE ce qui se passe, puis hochent la tête ; certains repartent se remettre au lit, les autres tiennent à faire leur devoir de fonctionnaires. Certains sympathisent avec la cause, mais n'iraient quand même pas jusqu'à tenir le blocus avec nous (ne pas prendre parti, toussa).

Coco grimpe sur une poubelle. Il s'apprête à lire le tract du FIDL, puis se ravise, ça ferait un peu con. Alors il explique que Khatchik et Leonarda se sont fait expulser parce qu'ils étaient sans-papiers, et qu'aujourd'hui y'a une journée de mobilisation à Paris, et que c'est important de le faire. Il a commencé par préciser que contrairement à ce que pourraient dire les mauvaises langues, on fait pas ça pour sécher les cours. Nécessaire à clarifier, vu la méfiance qu'on sentait chez les adultes (et même certains élèves un peu trop raisonnables). Ça manque juste un peu de remise en contexte : Leonarda et Khatchik ne sont ni les seuls, ni les premiers… Il ajoute : « Bientôt y'a les petits de la maternelle qui vont passer, faites-leur un couloir, s'il-vous-plaît. Et aussi, après va y avoir les éboueurs, faudra descendre, ils ont déjà un boulot pénible, leur rendez pas la tâche plus difficile. »

Les gens discutent, chantent, tapent sur les poubelles avec des baguettes de batterie. Pas de slogans très inventifs, mais ça peut jamais être pire que la CFDT. Y a des amoureux qui s'embrassent et d'autres qui s'appellent camarade, aussi, mais c'est pour le fun. Les automobilistes klaxonnent en levant le pouce quand ils nous voient. C'est la fête, ouais, aussi. Mais régulièrement, les slogans rappellent pourquoi on est là.
On part à 10h30 vers la manif à Nation. Les gens gueulent dans le métro, mais on récolte quand même des sourires sympathiques. Une dame rouspète qu'on dessert la cause, ben tiens.
Et on arrive, et le rassemblement est bien plus dense que ce que j'aurais imaginé. On doit bien être 2000, que des lycéens, et du soleil. Quels minables, là-haut. Vous voyez ? On est là. Votre politique inhumaine, on veut qu'elle s'arrête. La vôtre comme celle de tous les gouvernements à venir.
Je suis trop crevée et gelée pour aller à la manif, mais je reste une petite heure sur la place. En rentrant, j'ouvre Twitter. Y'en a des drôles qui pensent que ça y est, c'est la révolution. Je découvre les différentes déclarations des politiciens, à la fin de la semaine on aura Valls, Hollande, Le Pen, tous plus ignobles les uns que les autres.

Aspect pénible, qui concerne moins directement Leonarda mais sans lequel ne va aucune mobilisation lycéenne : le paternalisme des politiciens, des éditorialistes et d'autres messieurs-dames tout à fait lambda, confortablement installés dans leur certitude que l'ordre est le garant de la démocratie blablabla, et que la place des jeunes est en cours à écouter sagement le professeur. J'ai senti la lassitude me gagner en lisant les commentaires sous-entendant que de toute façon on comprend rien à la politique, qu'on fait ça pour être en vacances plus tôt, que les blocus c'est anti-démocratique, que si on défend l'éducation de ces jeunes sans-papiers on a qu'à retourner en cours.

Oui, on est contents de pas aller en cours, parce que non, on est pas spécialement réjouis, le matin à 6 h, par la perspective de se retrouver le cul vissé sur une chaise toute la journée à écouter un cours. Brand new information. Oui, beaucoup de gens viennent pour le côté festif. D'autres sont des bourges qui viennent pour s'offrir des sensations et de la rebel attitude. Oui, les gens fument, boivent, rigolent. Certains ont juste entendu parler de l'histoire. Ils savent que les expulsions c'est pas très gentil, mais ils ont jamais vraiment réfléchi à la question.
Comme dans n'importe quelle manif, quoi.

Mais il y a aussi des gens, et c'est pas forcément incompatible, ils sont même probablement une majorité, qui savent parfaitement pourquoi ils sont là, qui pensent aux expulsés, qui se demandent pourquoi on a pas fait ça plus tôt. Qui déplorent que soudain on se réveille alors qu'il aurait fallu le faire des années plus tôt. Qui sont prêts à retourner manifester. Qui ont le sentiment de faire enfin bouger les choses et qui attendaient ça depuis longtemps. On est là parce qu'on n'est pas d'accord et on sait pourquoi. Il y a aussi des gens qui ont commencé à s'intéresser au problème avec ces manifs. On est plus ou moins réformistes, on croit plus ou moins au bulletin de vote, mais on sait en tout cas qu'on refuse de cautionner un système raciste, classiste et répressif, que c'est pas ce monde-là dans lequel on veut vivre.
Et si vraiment la mobilisation lycéenne faiblit parce que les guignols trouvent que c'est plus aussi fun, de toute façon, les convaincus iront se faire entendre autrement. Il serait temps que les adultes pigent qu'on pense par nous-mêmes, qu'on est capables de s'interroger, beaucoup plus qu'ils ne le croient. On n'a pas besoin qu'ils soient là pour valider nos prises de positions, pour nous “guider dans nos choix” ou je sais pas quelle connerie. Leur avis en tant qu'adultes, on s'en fout, on est intéressés par leur avis en tant que personnes.

M'enfin revenons à l'affaire elle-même.
La très magnanime proposition de Hollande de faire revenir Leonarda sans sa famille. Genre “pour satisfaire la foule, on va leur donner ce qu'ils réclament. Ben quoi, c'est bien de Leonarda toute seule dont ils parlent, non ?” C'est ça, faites semblant de pas comprendre que les revendications sont bien plus larges. Faites semblant de pas savoir qu'un tel choix est juste horrible à faire pour n'importe qui. Faites semblant de ne pas savoir que c'est inhumain.
Les journalistes qui parlent pendant des jours du fait que le père a menti quant à l'origine de ses enfants alors qu'on en a rien à foutre. Un parent ment pour protéger ses enfants, et on fait en sorte de le présenter comme un méchant pas beau, regardez, on va quand même pas laisser un menteur (un menteur, mes aïeux) rester peinard sur notre territoire à nous bien cloisonné. Les médias comme des vautours autour de la famille de Leonarda, oubliant que ce sont des GENS.

Ah oui, et puis, on attendait le fameux rapport sur l'affaire. Rendu entièrement public — j'hésite entre saluer la transparence et l'impression détestable que Leonarda a été jetée en pâture à toute l'opinion, comme si chacun devait pouvoir y aller de son petit commentaire, décider ce que devrait être la vie de cette fille au regard de son histoire, tout savoir de sa situation familiale analysée hyper précisément, etc. Dans ce torchon (qui n'a rien à envier à la Une de Valeurs Actuelles sur le sujet), Le Point explique en long, en large et en travers, à grands renforts de tournures sensationnalistes, que selon le rapport, c'est rien qu'une famille de délinquants. Le père est une feignasse, puisqu'il refuse des offres d'emploi. ASSISTÉ. Sa fille sèche les cours, SO SHOCKING. C'est sûr que c'est grave et exceptionnel, aucun élève de nationalité française ne le fait, ici… Et de donner le détails de toutes ses absences depuis la 6ème. Voilà, ça sert à ça, aussi, les logiciels où les surveillants notent scrupuleusement l'heure, la durée et le motif de tes absences.

Les étrangers, les immigrés, les minorités, doivent être irréprochables en permanence, n'avoir jamais aucune faiblesse, alors que les bons Français, les blancs (et on peut évidemment étendre ça aux dominants en général ; les hommes, les hétéros, les riches…), pour eux, on ne se pose pas la question. On n'en fait pas un débat public. Quand ça devient du ressort de la loi, il y a un procès, mais pas un débat public. Entendre au journal de France Inter que le collégien Jean-Kevin Martin a été reconnu coupable d'avoir manqué 195 heures de cours depuis le début de l'année scolaire, que son droit de séjour sur le territoire est remis en cause et que les ministères de l’Éducation de l'Intérieur et de l'Éducation Nationale devraient s'exprimer dans les prochains jours… Nope. Ça n'existe pas. L'étranger est soupçonné par défaut d'être méchant, sale, de vivre sur les dos des autres, de rien faire comme nous et de battre sa femme. C'est tout le temps sur lui que vont se poser les soupçons, même quand c'est lui qui est victime de quelque chose. Il doit bien être responsable de sa situation, quelque part. Il doit tout le temps prouver, rendre des comptes, montrer qu'il peut prétendre à être reconnu comme légitime par le dominant. Faire des efforts en permanence, quand nous, blancs, légaux, approuvés, avons le droit d'être chez nous partout, sans demander de permission.
Et j'imagine que ce genre d'article contribue grandement à ce mode de fonctionnement.

Et donc, la conclusion de tout ça, c'est que l'expulsion était conforme à la loi. La belle affaire. Comme si c'était le problème. Le dernier paragraphe est à vomir. On sent la jubilation du journaliste : « HA, vous voyez, quand on vous dit que c'était légal, que c'était bien de les expulser, vous avez pu constater vous-même, dans mon article totalement objectif, que cette famille c'était rien que des sales pauvres qui volent pour vivre. » Et puis "avec humanité", hein, qu'il dit. Parce que c'est à lui, hyper privilégié par rapport à Leonarda,  de décider si c'est humain ou pas. C'est ce que le gouvernement a dit aussi. « On est bien gentils, quand même, regardez tout ce qu'ils ont fait de vilain, et nous on les expulse humainement, qu'est-ce qu'on est sympas. » Et eux sont les ingrats, bien sûr. TOUT VA BIEN, alors.
On se fout de savoir quel ont été les faits et gestes de la famille de Leonarda sur les 10 dernières années. On se fout de savoir si son expulsion était légale ou pas. On veut juste pas de ce système. Quand la loi permet des injustices pareilles, le mieux qu'on puisse faire (si tant est qu'on veuille garder un gouvernement), c'est de la changer.


Quelques liens.
EDIT : prochaines manifs en région parisienne :

5 novembre, 12 h place de la Bastille
9 novembre, 14h30 au 263 rue de Paris à Montreuil

9 juin 2013

Je n'en peux plus. 
Ne pas comprendre. Ne pas pouvoir.

Je n'en peux plus de lire, plus nombreux chaque semaine depuis les manifs homophobes, les récits de nouvelles agressions fascistes. (Celle de Clément Méric. Et puis celle-là. Et celle-ci.) 
De voir les raclures d'extrême-droite, du sang sur les mains et dans les yeux, puantes de haine, tenter de se faire plaindre, voire d'ériger les meurtriers en martyrs ; tenter de justifier leurs idées totalitaires, racistes, homophobes, morbides. 
De voir les récupérations des partis (ou même de n'importe quels groupes, par exemple le Nouvel Obs qui, tant qu'on y est, fait sa pub sur le dos de Clément) pour dire « regardez, moi je condamne hein, rejoignez-nous, nous aussi on est contre le fascisme ! »
D'entendre que ce sont les valeurs de la République qui ont été bafouées (depuis quand on a besoin de croire en la République pour lutter contre le fascisme ?) avec le meurtre de Clément.
D'entendre des crétins dire que le fascisme et l'antifascisme, c'est pareil, que c'était juste une baston  « entre extrémismes ».
De voir les médias tendre complaisamment leurs micros à ces abrutis en faisant semblant d'ignorer qui ils sont. Depuis les sombres années Sarkozy, et encore plus avec les présidentielles où un nombre incroyable d'heures de paroles a été accordé au FN, les médias permettent à ces connards de cracher leur haine aux heures de grande audience. Quand ce n'était pas Le Pen, c'était Hortefeux, Guéant, Estrosi, c'est encore Zemmour, Ayoub, Gabriac. Et Valls, aussi.

Derrière tous ces gens, des cadavres.

Ayrault a dit qu'il voulait dissoudre les JNR. Bravo, génial, on applaudit. On voit bien que le gouvernement a pris le temps de réfléchir au problème ("Oh, tiens, un mort, ça la fout mal, faudrait peut-être qu'on se préoccupe de la question"). Comme si ça allait changer quoi que ce soit. On ne détruit pas un long processus de diffusion d'idées nauséabondes comme un cachet d'aspirine.

Hier, alors que je prenais un verre avec des ami-e-s, on vient nous prévenir qu'une rafle de Rroms est en cours. Il y a aussi eu l'attaque d'un camp avec des cocktails Molotov. Jeudi dernier, au moment des rassemblements en hommage à Clément, 40 étrangers se font arrêter à Paris
Et toutes les expulsions, le squat incendié à Lyon (les familles, "relogées" dans un gymnase, en ont ensuite été expulsées), les discours anti-rroms, anti-musulmans, le mépris, le racisme d'Etat.

Alors, Jean-Marc, ne viens pas faire semblant de pleurer. C'est ton gouvernement. C'est ton putain de ministre de l'Intérieur qui expulse des familles avec 200 flics, qui envoie l'armée à Notre-Dame-des-Landes, c'est ta police qui empêche les contre-manifs face aux rassemblements des anti-IVG à Paris, qui brutalise, qui insulte, qui réprime, qui surveille.
C'est vous tous, gouvernants, qui constituez une grande partie du problème, en faisant en sorte que la haine devienne la norme.

Je ne veux plus les voir. Je ne veux plus les entendre. Je n'en peux plus. J'ai peur de la suite. Que faire quand écrire ne permet plus de traduire les larmes, la rage et la colère ?

26 mai 2013

« Sûreté ne rime pas toujours avec répression » — Faire avaler la pilule.

Éloigner les jeunes.
Les jeunes c'est sale, ça crache par terre, ça respecte rien.
Les jeunes il faut les faire fuir des endroits propres, comme les halls de gare. (Où y'a des adultes qui vont travailler, eux).

Les jeunes n'écoutent pas de musique classique. Tout le monde le sait. Haydn, c'est pour les grands.
Parce que la musique classique, c'est raffiné, m'voyez. C'est de la musique noble, élégante, savante, harmonieuse. Supérieure, dirais-je même. Pas comme le rock, la variété, le Rn'B, le rap, le metal, la pop. Les jeunes étant des sauvages, assurément, ce trésor sacré ne leur est pas accessible.

Bon.
Ces deux présupposés débiles servent de prétexte à une initiative de la SNCF (lisez l'article sus-linké, c'est instructif). Balancer du Vivaldi dans les haut-parleurs des gares RER pour, 1, faire déguerpir les délinquants, 2, assurer sérénité, bonne humeur et aliénation tout en douceur aux français méritants, travailleurs et civilisés.

Toujours la même histoire. Aseptiser, faire briller. Et dissimuler ainsi la misère, la laideur, en la repoussant toujours un peu plus loin, comme ils ont fait avec les immigrés, les SDF, les prisonniers, les vieux. Souvent, c'est tout simplement, interdire aux gens de vivre leur vie en dehors de ce qui est admis comme respectable. En l'occurrence, interdire d'utiliser les halls de gares pour faire autre chose que se rendre quelque part. Les lieux ne doivent pas sortir de l'usage pour lequel ils ont été conçus. 

« Sûreté ne rime pas toujours avec répression ».
C'est ça. Faire passer la pilule. Faire croire que tout va bien, que ta vie t'appartient, te persuader que tu es heureux. "Regardez, c'est fun, c'est un concours participatif ! C'est transparent ! Regardez comme on se marre à conditionner les vies d'autres gens !"

Ça me rappelle la nouvelle prison construite à Condé-sur-Sarthe, près d'Alençon [PDF]. La forme des couloirs, les couleurs acidulées, les meubles, les chambres, jusqu'aux barreaux des fenêtres, tout est design. Il y a même une aire de jeux pour les gosses qui viennent au parloir. Dans la plaquette, pas une fois le mot prison. "Hébergement" passe mieux.
L'existence en milieu carcéral est certes bien plus insoutenable que la vie au-dehors. Mais c'est le même principe. Rendre l'environnement agréable. Faire oublier aux travailleur/euses qu'ils et elles vont trimer pour leur patron, qu'ils et elles se sont levé-e-s trop tôt, qu'ils et elles prennent des antidépresseurs pour tenir ; faire oublier les galères quotidiennes en rendant les lieux de notre routine plus « accueillants », plus soft, plus beaux, plus joyeux.

Et mettre de la musique vivante, belle, aimante, utiliser Liszt, Bach, Mendelssohn ou Ravel pour les besoins d'une politique morbide de contrôle social.

19 mai 2013

du temps à vivre

Le deal c'est ça : tu joues le jeu et l'Etat ne te laisse pas crever. Mais il ne faut surtout pas remettre en cause quoique ce soit. On ferme sa gueule et on "fonctionne". 
Que dire, qu'écrire ? sur Le Salaire de la peur




dans les yeux des millions d'engrenages
se lever
(seulement ton fantôme peut-être,
seulement ton ombre)
se lever et se dire
encore une à tirer
se lever et tenter de ne pas penser
rêver est devenu trop rare
boire ton café et te demander
si tu tiendras encore
et combien
de temps

(il est six heures il fait
nuit)

le temps
ton temps qui est à vendre ton temps à oublier
ton temps à consacrer
ton temps à sacrifier
ton temps à jeter à ignorer ton temps à abandonner
ton temps qui n'est pas le tien
les horloges indiquent éternellement des heures
trop matinales
trop tardives
ce sont pourtant les heures qui
conviennent pour-plus-d'efficacité

le temps à vivre c'est dépassé

et le temps que tu passes à te dire que c'est pour la bonne cause
ton temps que tu passes à mourir doucement
lentement discrètement sans rien dire peut-être même sans savoir
pour ton patron
ton chef
ton maître
• • • • ton oppresseur
— bonjour monsieur

ce matin comme tous les matins le ciel est gris
et pas le choix
le choix c'est pour les riches
toi tu penses d'abord
à survivre
et quand survivre sera devenu trop lourd…
— oui — la question — et quand survivre sera devenu trop lourd ?

puisqu'il faut
travailler
puisque la société
le dit
puisqu'ils ont érigé la mort en idéal
que faire quand on te foutra dehors
que faire quand tu ne seras plus
Utile
voilà ta peur
la peur qui t'empêche de hurler
la peur pour diviser
la peur de ne plus travailler
parce que ne plus travailler
la société a dit que c'était honteux
et parce que la réalité
de ne plus travailler
c'est de crever pareil
et toujours pour les mêmes
 — et c'est cela qui te fait croire
que tu as besoin du maître —
te faire croire à toi-même que tu ne vaux plus rien
puisque tu n'es plus
rentable
sans travail tu n'es plus personne aux yeux des autres
travailleurs
aux yeux des autres
exploiteurs
ne plus travailler, la même misère les mêmes humiliations
alors que tu devrais pouvoir vivre enfin
• • • • • • • • • • • • • •  • •tout est clos

la liberté se paye elle aussi
la liberté si tu es sage
la liberté peut-être à la fin de la journée
la liberté qu'on t'accorde alors même que tu n'as plus le courage d'être libre et de vivre
la liberté donnée aux êtres broyés comme du lard aux chiens

et puis la résignation
l'acceptation parce que
c'est comme ça
on ne peut rien changer
tu l'as appris à l'école il ne faut pas
se révolter
il faut subir et dire merci
courber l'échine et obéir
sinon pas de récompense
sinon la fin du mois
sera dure
est-ce cela vivre
être heureux avec ce qu'on a
se contenter des miettes
de la mansuétude des maîtres
il faut être content de ton salaire
il y a pire ailleurs
et le mériter
être un
bon travailleur
assidu efficace ponctuel docile
infatigable
pour bouffer

car il faut bien vivre disent-ils tes compagnons ridés
tannés usés
il faut bien vivre la vie
qu'on nous donne
mais au fond
tu en viens à désirer crever
pour ne plus avoir la misère le matin dans les yeux
pour ne plus penser

tu connais l'histoire 
ils vont dire un nouvel immolé
et faire semblant de se demander pourquoi et écarter les raisons noires
et dire que tu étais
un cas isolé
il avait des problèmes personnels vous savez
pour ne pas voir ne pas entendre ne pas admettre
qu'ils t'ont tué 
que tu es loin d'être le premier
pour ne pas admettre que c'est eux
qui t'ont déchiré mutilé brisé oublié écrasé
et ils iront expliquer
ce que tu aurais dû faire
comment tu aurais dû réagir
comment tu aurais dû dialoguer sereinement 
comment tu aurais dû ne pas trop montrer aux autres 
la violence les raisons de l'impuissance
ils iront expliquer de rester dociles
sans avoir jamais eu les mains sales
sans avoir jamais eu 
à rendre des comptes
eux

désirer crever
quand les prochaines minutes sont impossibles
pour ne plus exister ici selon leurs règles
pour effacer le corps
ton corps qui est à vendre ton corps à oublier ton corps à consacrer
ton corps à sacrifier
ton corps à jeter à ignorer
ton corps à abandonner
ton corps qui n'est pas le tien
tu es les mains
de ton patron

tu dors pour ton patron
tu aimes pour ton patron
tu te maintiens en vie pour ton patron
tu respectes ton patron — et les horaires
ton temps qui est leur temps c'est l'usine le trajet les nuits sans sommeil
les pauses café le déjeuner au travail le dimanche où tu penses au lundi
leur temps c'est l'arrêt de travail à cause d'un accident de travail
c'est quand tu oublies ceux que tu aimes pour obéir à celui que tu hais
ta vie devient l'usine et l'usine
ronge inlassable
tu es à sa disposition à sa merci

lui ton patron ne sait pas que tu fais semblant ;
dans l'être qui vit encore
tu te dis renverser
vaincre, abolir
mais tu te tais
parce qu'il y a
pire ailleurs
parce que si tu en es là
c'est que tu l'as bien un peu cherché
puisque tu avais pour toi l'égalité des chances
quand tu veux tu peux
parce qu'il fallait réussir
parce qu'il faut bien s'occuper bien que tout le monde s'accorde à dire que
ce n'est pas l'idéal
parce que le rire et l'amour et la colère ne peuvent pas être gratuits
ça c'est encore une utopie un coup de tête une fumée
au lieu de rêver il faut faire croire qu'on aime se vendre
il faut contribuer participer à ce qui te détruit
se rendre utile
il faut Faire il faut être
actif
travailleur ou bon à rien il faut choisir
tu vas quand même pas vivre
sur le dos des autres
hein ?
tu vas quand même pas
vivre ?


Des liens de textes sur le sujet.
La boule au ventre (Cœur Noir Tête Rouge)
Réponse à Marcela Iacub (Cœur Noir Tête Rouge)
Que dire, qu'écrire ? (Le Salaire de la Peur)
Dommage (Le Salaire de la Peur)

6 mai 2013

Un siècle d'enfants qui veut tirer sur un siècle d'adultes…

François Dufrêne • Cris croisés pour un homme sans âge
Paru en 1952 dans le journal lettriste Le soulèvement de la jeunesse (n° 2)

Poème avec fragments empruntés à Michaux, Prévert, Tzara, Cocteau.



Un siècle d'enfants qui veut tirer sur un siècle d'adultes
A hue ni a dia. Les cruels élèves
Un siècle d'enfants qui tirent la langue [...]
Un siècle d'enfants qui ont tout
Sauf ce qu'on leur enlève
Menés par le chantage de l'affection et du sacrifice
Dans le brouillard des vieux vieillards
Un siècle d'enfants des corridors
Un siècle d'enfants des courants dair
Un siècle d'enfants que le monde a foutu dehors
Un siècle d'enfants jetant le plomb des nostalgies
Parmi les jeux volés aux cruautés des étalages
Un siècle en proie à ce fabuleux désespoir
Qu'il est coutume d'appeler « chagrins d'enfants »
Un siècle d'enfants qui veulent CRIER HURLER PORTER PLAINTE
Un siècle où l'enfant n'en fait qu'à sa tête
Un siècle d'enfants qui se demande
(La vie des enfants répond)
Ce qu'il a fait au Bon Dieu pour avoir des enfants pareils
Un siècle d'enfants de déchirants souvenirs
De l'enfance brûlée
Vice par le désir Oh
Comme elle est triste l'enfance [...]
JEUNESSE DES PAS DANS LA CENDRE
Jeune est la nuit si l'on peut dire
l’Étoile en esclavage se penche vers l'oubli
Pour un rien voilà détresse de nos sous et nos enfants
l’Étoile en esclavage se penche vers l'oubli
Jeune est la nuit si l'on peut DIRE [...]

9 avril 2013

Chers bigots, chers fachos

J'ai mis bien trop longtemps à faire ce billet. Je l'avais rédigé après la première "Manif pour tous" du 13 janvier (les liens risquent de paraître un peu vieux, mais les textes sont toujours aussi géniaux) mais il était resté dans mes brouillons. Je le trouvais trop fouillis, trop maladroit, pas assez travaillé, trop explicatif. Entre-temps, j'ai lu et pris conscience de plus de choses, et j'ai décidé que je m'en fichais pas mal. Alors voilà, chers bigots, chers fachos, j'ai un truc à vous dire.

Je ne sais pas par où commencer tant vous m'êtes abjects et tant vos continuelles prises de positions pour le recul des libertés et de l'égalité me dégoûtent. Mais allons-y.

Cet hiver, à l'occasion de manifs contre le projet de loi sur le mariage pour tous, vous avez séché la messe/le brunch du dimanche à plusieurs reprises et êtes allés vous les geler à Paris. Mais bon, c'est pas grave. Il y avait tellement de chaleur humaine dans ces cortèges. Il eût été dommage de rater ces rendez-vous. Surtout quand des valeurs aussi porteuses de liberté que la famille et la religion sont bafouées.

Vous avez clamé partout qu'il ne fallait surtout pas vous assimiler à des homophobes. Bien sûr, si vous êtes allés manifester, ce n'est pas par peur/haine des homosexuel(le)s. Et même, à vous entendre, vous a-do-rez ces gens — c'est pour ça que vous les insultez à longueur de temps, c'est affectueux. Vous avez même un(e) ami(e)/un(e) collègue/un beau-fils de l'ami d'un collègue homosexuel(le). « Ce sont des gens toutàfaitnormaux, je vous assure. »

En effet, à vos yeux, une personne digne d'égards est une personne "normale". Il faudra qu'on m'explique un jour qui est anormal. Un catho hétéro blanc qui utilise les gosses comme martyrs de l'homosexualité pour valider ses arguments ? Ou qui les envoie en première ligne se faire gazer par les CRS ? Ah bon, ça marche, pas. Alors euh… un pauvre ? Un Noir ? Un artiste ? Un fou ? Un contestataire ? Une femme trop indépendante ? Ok, pigé. Ce sont des gens pascommenous, et les homosexuels en font partie, bien évidemment.
Il faut avoir une couleur de peau normale, une orientation sexuelle normale, un boulot et un revenu normaux, une vision des choses normale, des revendications normales (comme par exemple refuser de laisser des gens mener la vie qu'ils veulent parce qu'ils sont différents).
Et si t'as pas la chance de faire partie des normaux, ben on va faire en sorte que tu sois considéré(e) comme une sous-merde.
Parce que quand même. Faut "respecter votre sensibilité". Vous, vous pouvez leur cracher dessus à loisir, mais eux, il faut qu'ils vous respectent.

C'est vrai, quoi. L'homosexualité, c'est choquant. On n'a pas idée d'être en couple avec qui on veut, y compris quelqu'un du même sexe. C'est pas naturel. Je signale au cas où que votre bagnole, votre frigidaire ou votre ordinateur, ce n'est pas très naturel non plus.
Mais passons. Ce que vous voulez, c'est que l'Homme ne soit en couple que pour se reproduire. Que les femmes gardent leur éternel rôle de mères douces et attentives, qui doivent être protégées par un homme fort et agressif. Parce que c'est naturel. L'amour, vous n'en avez rien à foutre, si je comprends bien. Et le sexe juste par plaisir, n'en parlons pas, c'est tabou. Oserez-vous affirmez que vous n'avez fait l'amour que pour avoir des mômes ?

Je vous entends d'ici : "mais le sujet, ce ne sont pas les homosexuels, ce sont les enfants dans les couples homosexuels !"
Je ne pense pas que ce soient vraiment les enfants d'homosexuels qui vous tracassent. Je ne pense pas que vous en ayez grand chose à foutre, sinon vous ne les utiliseriez pas comme prétextes perpétuels dans vos discours, vous faisant leurs prétendus porte-paroles alors que vous ne leur avez jamais demandé leur avis (oui, parce que contrairement à ce que vous semblez croire, il existe déjà des tas d'enfants élevés par des parents homosexuels en France). Je pense plutôt que le problème est votre haine de tout ce qui ne colle pas à vos vies étriquées et à vos réflexes patriarcaux et autoritaires.

Mais soit. Admettons que le problème soit les enfants.

Je vous recommande d'abord cet article excellent de Beatriz Preciado.

Vous avez un argument imparable : l'homosexualité, ça se transmet. (Donc cette modification du code civil va encourager l'homosexualité, qui va s'étendre à toute la planète, et l'humanité sera perdue, ce sera une vengeance divine parce que l'homosexualité c'est le Mal). Comme l'hétérosexualité, c'est ça ? Ah ben non, en fait.
Jamais vous ne remettrez en question l'hétérosexualité. Ça coule de source. Nous vivons dans un monde qui impose cette orientation sexuelle, et vous encouragez bien évidemment cet état de fait. Vous allez tout faire pour que vos enfants ne deviennent pas homos. Les blagues homophobes ne vous choqueront jamais. Vous utilisez vos mômes pour aller gueuler des slogans moisis dans l'espoir d'attendrir l'opinion. Mais curieusement, on ne parle que de l'embrigadement des enfants de couples homosexuels.
Vous affirmez qu'un enfant dans un couple homo serait forcément malheureux, parce qu'il n'aurait pas de "repères". Vous sous-entendez ainsi qu'un enfant d'un couple homosexuel sera forcément empêché par ses parents de connaître l'autre sexe. Qu'il ne sortira pas. Parce qu'avec des parents "anormaux", hein, on ne sait jamais... Vous voyez l'homosexualité comme une déviance par rapport à une norme "naturelle", l'hétérosexualité, et tout ce qui sort de cette norme est à bannir.

Avec la "nature" vient la tradition. La tradition, pour vous, ça va uniquement quand elle émane de blancs catholiques bien français. Quand elle vient d'ailleurs, je ne suis pas sûre que vous la défendiez avec autant de ferveur. Et depuis quand le fait qu'une pratique soit ancienne justifie-t-il qu'on ne la fasse pas évoluer ? Je vous informe qu'il n'y a pas si longtemps, en France (est-ce possible, un pays aussi civilisé…), des femmes qui manifestent et qui sortent toutes seules, ou ouvrent un compte en banque sans l'accord de leur mari, ce n'était pas vraiment raccord avec la tradition.

"Les gens bien" sont forcément d'accord avec vous, à vous entendre. Bien sûr, une de vos stratégies, c'est de faire croire que le projet de loi n'est soutenu que par une minorité. Que par quelques associations LGBT qui ne représenteraient pas les LGBT (sic). Pas par les gens hétéros, blancs, pas par les "normaux".

Vous vous appuyez, pour justifier vos raisonnements, sur la certitude qu'un homme et une femme sont fondamentalement différents l'un de l'autre. Que dans la société tout va bien, qu'en pratique tout le monde s'aime et que les femmes ont les mêmes droits que les hommes. Ou bien, au contraire, vous êtes conscients des inégalités sociales entre hommes et femmes mais vous les soutenez (c'est naturel). Je ne sais pas ce qui est le pire.
Vous voulez que je vous dise ? Je suis lasse de vos conneries. Lâchement, je m'en remets aux gens beaucoup plus informés, expérimentés et compétents que moi sur le sujet pour vous dire que c'est faux. La complémentarité des sexes n'est qu'une fiction destinée à perpétuer les privilèges des hommes sur les femmes, des hétérosexuels sur les homosexuels/bisexuels, et, en fin de compte, opprimer tout le monde.

Mais je sais parfaitement qu'on aura beau vous faire lire les meilleurs articles sur le sujet, vous n'en démordrez pas.
Parce que ça vous arrange. Ça vous arrange que chacun reste à sa place. Ça vous arrange de faire croire à cette idée de nature. Ça vous arrange de croire à la complémentarité des sexes, parce que comme ça vous pouvez dire que vous êtes "pour la différence" alors que vous ne rêvez que d'un monde totalitaire. Ça vous arrange parce que vous avez peur.

Ne me faites pas croire que vous aimeriez que le gouvernement ait d'autres priorités (le chômage, l'éducation, que sais-je encore). Je suppose que vous avez compté parmi les partisans des expressions "assistés" et "cancer de la société" pour désigner les bénéficiaires d'aides sociales, à l'époque de Laurent Wauquiez (présent à la manif). Que vous ne vous êtes pas opposés au fait que des écoles privées catholiques aient distribué des tracts appelant les lycéens à aller cracher avec vous contre les homos.
Vous perpétuez tout un système. Vous refusez tout ce qui est différent. Vous voulez cantonner chaque être humain à un type et un rôle précis. Vous voulez que tout soit pareil pour, surtout, ne pas perdre vos repères — et vos privilèges.
Vous voulez que rien ne change, vous êtes contents de la société telle qu'elle est (quoique, vous la trouvez peut-être un peu trop tolérante à votre goût). Mais qui êtes vous pour, au nom de tous vos préceptes débiles, refuser à des gens le droit de vivre comme ils l'entendent ? Pour déterminer quel amour est sale et quel amour est légitime ?

Aujourd'hui, et depuis janvier, vous avez bien préparé le terrain.
Fachos, vous ne vous sentez plus. C'est super, les premiers vous ont déroulé le tapis rouge et vous n'avez plus qu'à aller casser du pédé sous le nom de « Printemps Français » (la récupération, même la plus odieuse, ça ne vous fait jamais peur.)
Et vous serez soutenus par des gens qui vont dire que ce que vous faites, ce n'est pas homophobe (la violence contre les homos, cette invention du lobby gay), et qui vont aller expliquer aux premiers concernés comment il faut qu'ils prennent vos agressions. Dans les journaux, vos actions sont dites "radicales", alors qu'elles sont purement et simplement des déchainements de haine fasciste. Souvent, on ne met pas de mots sur vos gestes. Pas assez. Pas les bons. De cette façon, vous êtes couverts par les gens qui regardent sans voir, qui écoutent sans entendre, et sans rien dire. Et en plus, vous osez critiquer les homosexuel-les qui ont le malheur d'en avoir ras-le-bol et de ne pas se taire. Vous me faites enrager — mais vous ne mériteriez que le mépris.

Bigots, je suis vraiment navrée (ou pas), mais vous êtes finis. Vous êtes ridicules. Il est temps de le comprendre. Vos idées sont vieilles, dépassées, moisies. Vous êtes de ceux qui s'élèvent contre chaque avancée sociale et chaque progrès de la technique. Si vous étiez nés plus tôt, cela aurait été la pilule, le vaccin, la laïcité, l'abolition de la monarchie, l'apparition de la charrue, peut-être. Vous vous raccrochez aux débris du monde que vous connaissiez et dont un morceau (un infime morceau) est en train de craquer. Vous voulez des sociétés où tout le monde pense pareil et où tout le monde vit pareil, chacun opprimant bien gentiment les autres, mais laissez-moi vous dire que c'est de la pure fiction. Ça ne se réalisera pas. C'est en train de changer. Ça ne peut plus durer. Ceux qui veulent vivre comme ils l'entendent prendront soin d'empêcher la réalisation de vos idéaux morbides.
Cordialement, je vous emmerde.

Quelques liens supplémentaires ; des articles indispensables :
Manifeste des Enfants Pédés (Le Chantier)
"Je vous hais" (James et les Hologrammes)
Au nom de tous les miens  (C'est la Gêne)
Mariage pour tous : les enfants, premières victimes de l'homophobie des débats (Yagg)

5 janvier 2013

Saines et sauves

Pendant cette longue absence, je n'en ai pas moins gueulé sur Twitter, sur divers sujets — les connards homophobes, les crétins machistes qui s'assument pas (et même ceux qui s'assument), la surveillance, les élitistes, les bigots, les flics, la répression, les pollueurs, les capitalistes. Et ce sera pareil cette année. Je n'ai toutefois pas trouvé matière à écrire un vrai post, surtout parce que ça m'aurait donné l'impression d'enfoncer des portes ouvertes.

Mais je voulais revenir sur une histoire dont les grands médias nous ont rebattu les oreilles avec une médiocrité affligeante, à savoir la "fugue" de Camille et Geneviève, les deux lycéennes qui ont osé s'échapper de leur lycée pour aller rejoindre la Zone A Défendre de NDDL.

Ils disent que c'est une fugue. Que c'est pas bien, que ce sont des jeunes en pertes de repères, que leurs parents faut les comprendre. Et surtout, surtout, ils insistent bien sur leur âge. Des "jeunes filles", des "adolescentes" voire des "ados" (ce diminutif qui décrédibilise encore plus les paroles et les actes de quelqu'un). Bref, des gens irresponsables.

Putain de merde. Le nombre de fois où j'ai eu envie d'exploser la radio/l'ordinateur.
 
Ces filles se sont débrouillées toutes seules. Autonomes. Elles ont eu le courage de partir pour aller donner un coup de main, se sentir utiles, lutter. Elles ont eu le courage d'accomplir ce que je n'ai pas su faire : partir vraiment, aller lutter concrètement, joindre leurs gestes à la parole, prendre leurs idées en main, faire.
Et leurs parents, au lieu de se poser des questions sur la force de ce geste, de les féliciter pour leur investissement politique, vont les chercher de force, alors que Camille les avaient invités à venir voir comment ça se passait.

C'est pourtant ce qu'on prône, nan, en méritocratie ? Les self-made (wo)men, tout ça… Des gens qui se prennent en main (dixit mes profs). 

Aaaah oui. Mais il y a un petit problème. Plusieurs, en fait.

D'abord, elles vont quand même voir des gens ultra-dangereux.
Des anarcho-autonomistes. Des délinquants. Des opposants au gouvernement qui utilisent des méthodes de protestation très très louches, comme les débats, les concerts, le plantage de choux-fleurs, l'écriture de tracts (activité qui rappelle la période souvent évoquée avec un ton paternaliste et condescendant, genre c'était-pas-sérieux-et-ça-a-pas-marché, mai 68).
C'est tellement suspect que l'autre soir, au JT de France 2, la journaliste disait que Camille n'avait "subi aucune agression". Avec deux sous-entendus : "c'est bizarre" et "si elle avait eu quelque chose, ça aurait forcément été la faute des anarchistes". 
Mais dites-moi, c'est qu'on avait peur hin. C'est sûr que depuis deux mois, c'est vraiment les Zadistes qui font le plus preuve de violence. J'aurais eu plus peur qu'elle se fasse taper par des flics, personnellement.

Ensuite, ce sont des gens qui n'ont pas eu envie de suivre des voies toutes faites. Ça, ça ne plaît pas, ni aux parents, ni à l'opinion, ni aux flics, ni aux journalistes de France 2, ni aux ministres. Ces ingrates qui osent défier le système qui les nourrit !

Et puis, et puis, leur âge. 
La place des mineurs, c'est à la maison chez papa-maman. Sûrement pas en train de prendre des initiatives. 
Les mineurs ne doivent pas trop réfléchir.
Ou plutôt si. Ils doivent réfléchir à se trouver une "bonne place" dans la société. Et pour ça, ils doivent ingurgiter ce qu'on leur sert à l'école. Que la démocratie c'est le bien, que le capitalisme ça va forcément avec et que c'est tout ce qui existe pour éviter les dictatures. Et par-dessus tout, que l'enfant ou l'adolescent a une place bien définie (celui pour qui on décide), tandis que l'adulte a le rôle du décideur. 
Et que ces rôles ne changeront jamais.
Alors autant l'accepter.
Autant se résigner.
Les mineurs doivent réfléchir selon des normes imposées "pour leur bien".
Les mineurs doivent être continuellement protégés, et ce sont les gentils adultes qui vont le faire.

Que… quoi ? Qu'entends-je ? L'autogestion ? Mais vous n'y pensez pas ! Des enfants ? Se protéger eux-mêmes ? Ils en sont incapables, voyons. Ils sont faibles. Ils sont inexpérimentés. Et l'expérience, bien sûr, ne s'acquiert qu'à l'école dans les bras des adultes. Pas sur les routes ou en construisant des cabanes en rondins.

Ceux qui contestent cette vision des choses doivent en permanence se justifier de leurs idées : la domination des adultes sur les enfants n'est pas admise et remise en question par grand monde. Elle semble couler de source.
Non, je ne dis pas qu'il ne doit jamais y avoir d'adultes pour donner quelques repères aux enfants.
Non, je ne pense pas qu'un enfant de cinq ans doit pouvoir faire ce qu'il veut.
Non, je ne suis pas contre la notion de respect, au contraire. Je veux juste que ce respect soit exactement le même de l'adulte pour l'enfant que de l'enfant pour l'adulte. Sans que plus personne ne dise "mais enfin, c'est évident, on ne doit pas le même respect à quelqu'un de 10 ans qu'à quelqu'un de 40".
Oui, je connais des gens de tous âges qui défendent ces idées. 
Non, ce n'est pas lié à une rébellion passagère contre mes parents. C'est politique. Ça s'inscrit dans un refus du monde tel qu'il est, dans un refus de toutes les oppressions et de toutes les inégalités.
(Et suivent les habituelles approximations sur l'autogestion) : Non, je n'ai jamais dit qu'il ne devait pas y avoir de règles, anarchie ≠ anomie. Non, ça ne conduit pas au chaos. Oui, ça a déjà été expérimenté et ça a très bien marché, ça existe toujours aujourd'hui.

A l'école, on nous dit qu'on doit être « responsables ». 
Responsable, pour eux, ça veut dire rentrer dans le rang. Faire plaisir aux profs. Être sage, ne rien déranger. Ne pas faire partie des statistiques de la délinquance juvénile, "problème fondamental de nos sociétés actuelles". Se "prendre en main", mais selon leurs règles.
Si tu ne corresponds pas à ce schéma (et même pas besoin de caillasser des voitures, hein, suffit d'avoir des idées un peu bizarres), tu es décrété inexpérimenté, immature, idéaliste. Bref, la définition habituel du "jeune" par les adultes.
On doit tous s'excuser d'être libres, mais encore plus quand on est jeune, femme, pas très hétéro et pas très blanc.
Le fugueur ou la fugueuse est toujours supposé instable, victime de problèmes familiaux, etc. Toujours sans but. 
Nous sommes trop jeunes pour comprendre, trop jeunes pour penser par nous-mêmes. On nous rabâche ça tous les jours, mais la justice des adultes peut quand même nous foutre en prison quand ça les arrange. Toujours ça de potentiel contestataire en moins.

Ce qui est drôle, c'est de voir les journalistes qui aimeraient bien pouvoir dire que les deux filles ont été maltraitées, mais qui sont bien obligés de rapporter leurs réactions : elles étaient en sécurité, elles se sentaient en accord avec elles-mêmes, et utiles à une lutte.

Je me suis surprise à apprécier les déclarations du proc. Il les prend au sérieux, lui ; beaucoup ont considéré cet acte comme quelque chose d'irréfléchi. Des mineures qui s'engagent, réellement, dans un vrai combat politique, pas juste pour "jouer les rebelles", ça n'existe pas dans l'idée qu'ils se font de la jeunesse. 

Il suffit de voir les premiers paragraphes, lamentables, précédant cette interview de Geneviève dans Le Parisien.
"Le manteau de cuir clouté, les rangers de bûcheron et le pantalon camouflage n’y font rien. Derrière son look un peu rude, Geneviève cache mal sa petite bouille d’adolescente."
"Les deux ados, qui se revendiquent anarchistes, voulaient goûter à la vie en communauté sur fond de contestation écolo."
On a droit aux classiques. "Elle essaye de faire rebelle mais en fait c'est un cœur tendre"… "Elle se revendique anarchiste" = "elle ne sait pas vraiment ce que c'est, elle est trop petite pour ça, elle ne se rend pas compte, elle ne l'est pas vraiment, c'est juste une attitude". Je passerai sur le sous-entendu condescendant sur le combat même de tous les zadistes.

Cet excellent article d'un zadiste (Lisez la suite, j'ai envie de le citer en entier. Faut juste ignorer les fautes d'accord dues à une louable volonté de parité du langage...) dit :
Si les réactions journalistiques sont si violentes, si les commentaires sur les blogs ou sites ”d’infos” sont si durs, c’est parce que Geneviève et Camille ont osé remettre en cause la famille et leur dépendance à l’autorité parentale, illes ont osé proclamer qu’illes étaient en droit de choisir ce qu’illes voulaient faire de leur vie, librement. [...] Les familles s’inquiètent nous dit-on, heureusement qu’illes s’inquiètent, illes ont décidés que c’est d’eulles que devait venir l’éducation apportée aux plus jeunes et illes n’ont jamais pensé à leur apprendre à vivre libre, illes n’ont jamais pensé à leur expliquer ce que pourrait être le quotidien sans eulles, illes s’inquiètent parce que ces deux jeunes ne sauraient pas (selon eulles) se débrouiller, se protéger, … Illes s’inquiètent parce qu’illes ont pris soin de ne pas leur apprendre tout ça. [...]
Illes s’inquiètent surtout, parce que les unes et les autres se rendent compte qu’en fait, les jeunes n’ont pas besoin d’eulles, que les parent-es ne sont utiles aux jeunes que tant qu’illes n’ont pas la possibilité de se nourrir par eulles-mêmes (et encore ce pourrait être aussi un besoin assumé par la société, comme cela c’est apparemment passé pour Camille et Geneviève, nourri-es par le partage de dons de tous horizons).

L'âge adulte n'est pas beaucoup mieux, mais au moins, tes pairs te considèrent comme un interlocuteur légitime.
Jamais on ne prend au sérieux le désir de révolte des enfants. Suffit de taper "children rebellion" dans son moteur de recherche : des images de petits garçons qui boudent, des solutions pour endiguer la "rébellion" de vos enfants qui ne veulent pas manger leurs épinards. Des analyses de psychologues disant que "ça les aide à se construire", aka "ça va passer, c'est normal, circulez, rien à voir". C'est ça, la révolte des enfants, pour beaucoup d'adultes. 

Il est très difficile de trouver des informations sur les mouvements de mineurs des années 70 en France. Il y en a un peu plus sur les grèves d'enfants de 1911 en Angleterre, parce que leurs revendications paraissent aujourd'hui raisonnables : baisse du prix des livres scolaires, suppression des châtiments corporels. Ça ne vient pas d'une volonté de taire ces évènements. C'est juste que tout le monde s'en fout.

Les quelques discours positifs sur la jeunesse aujourd'hui servent juste à encourager leur engagement dans La Vie Politique pour dire "aaaah, les jeunes, l'aveniiiiir". Genre "ouf, heureusement que vous êtes là pour réparer les conneries des générations précédentes". Quand on s'intéresse à nous sans nous dénigrer complètement, c'est pour nous mettre sur le dos un engagement forcé. De manière raisonnable et "adulte", nous allons devoir « améliorer le système ». Pas nous révolter contre notre condition et contre le monde qui va avec. Jamais.
On demande aux élèves de respecter leurs profs sous prétexte d'une "reconnaissance de l'expérience et du savoir". Et alors ? On doit féliciter chaque prof de tout ce qu'il/elle sait en disant « merci maître » ?
Ça ne veut pas dire qu'on ne peut/veut rien apprendre d'eux (sinon je n'irais pas en cours de violon). Ça ne veut pas dire qu'on n'estime pas le travail qu'ils ont fait pour en arriver là. Ça veut juste dire que ce n'est pas ce qui doit déterminer les relations prof-élèves.

J'ai tellement envie que les gosses, ensemble, reprennent en main leur vie, leurs libertés, soient conscient de l'aliénation et aillent contre elle. Et même que les majeurs se joignent à eux. 
L'aliénation des enfants fait partie d'un système, comme toutes les formes d'oppression. Elle témoigne d'un fonctionnement plus global. On ne sera pas assez de milliers de mômes pour la détruire. Il ne s'agit pas d'une guerre contre "les adultes", mais contre le monde qui leur permet d'être "les adultes", d'avoir le pouvoir qu'ils ont, et surtout de ne pas voir eux-même l'oppression qu'ils exercent sur les mineurs.

Bérurier Noir - L'empereur Tomato-Ketchup
(Je sais, classique, mais ça fait du bien).
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